Une revue rhapsodique sur le vin et l’opéra
À défaut de tomber le masque, et nous défaire de la morosité ambiante, nous pouvons chanter et le vin nous y invite par les chansons à boire. Et le style musical le plus noble de ces airs bibitifs, n’est-il pas l’opéra ? Une revue rhapsodique du genre nous en convaincra.
La chanson à boire est un grand classique de l’opéra. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle n’est pas réservée à des compositeurs réputés légers. On la retrouve même souvent dans les opéras les plus tragiques.
Le vin, pour parvenir à ses fins
Amour, haine, pouvoir, manigances, complots… Dans l’opéra, théâtre chanté de toutes les passions humaines, le vin apparaît, pour les personnages les plus habiles ou les plus perfides, comme un moyen imparable de parvenir à leurs fins.
Ottello de Verdi (1887) : « Roderigo, beviam »
Iago, machiavélique lieutenant d’Ottello, bien décidé à détruire son maître, intrigue pour compromettre le lieutenant Cassio. Afin de gâcher la fête en faisant passer Cassio pour responsable, Iago le fait boire… Comme prévu, Cassio, qui ne supporte pas l’alcool, devient violent, entraînant l’intervention d’un Otello furieux.
“Qui a mordu à l’appât du dithyrambe
bravache et outré
boive avec moi, boive avec moi,
boive, boive, etc.
… bois avec moi!”
Sur ce thème, impossible de ne pas à mentionner -horresco referens- le vin empoisonné par la terrible Lucrèce, dans Lucrezia Borgia de Donizetti (1833):
Lors d’un banquet réunissant les ennemis de Lucrèce au palais Negroni à Ferrare, Maffio Orsini entonne un air à boire : « Il segreto per esser felici » (« Le secret du bonheur »). Soudain, un chant funeste retentit et Lucrèce apparaît : elle annonce aux convives qu’elle a empoisonné le vin qu’ils viennent de boire et que des cercueils sont prêts à recevoir leurs cadavres.
Diantre ! Revenons vers plus de gaité et chantons avec Mozart :
L’Enlèvement au Sérail de Mozart (1782) : « Vivat Bacchus, Bacchus lebe »
Mozart, alors à l’apogée de sa maturité musicale, nous propose une redoutable leçon de manipulation ! Jugez-en :
Pedrillo et Belmonte cherchent à délivrer Constance et Blonde, prisonnières dans le Sérail, gardé par le cruel Osmin. Pour l’endormir, Pedrillo a prévu de le faire boire… ce qui est normalement interdit au musulman Osmin. Celui-ci se laisse pourtant rapidement convaincre et ingurgite le vin auquel a été ajouté un somnifère.
Le vin, synonyme d’allégresse
Continuons de rendre un hommage lyrique à Bacchus-Dionysos, dieu de la vigne et du théâtre, cette fois dans l’allégresse !
Et à tout seigneur tout honneur, avec le célèbre « Brindisi » (trinquer, en italien) de La Traviata de Verdi (1853).
La courtisane Violetta nous encourage à profiter de la vie, dans un chant communicatif et festif.
« Libiamo » ! Buvons !
« Buvons, buvons joyeusement le vin de ces coupes
Que la beauté fleurisse
Et que l’heure fugitive
S’enivre de volupté.
Buvons dans les doux frissons
Que procure l’amour
Buvons ! L’amour, l’amour entre les coupes
Aura des baisers plus ardents. »
Fondée à Paris en 1729, la société bachique le Caveau a connu une pérennité exceptionnelle en parvenant à satisfaire trois grandes passions françaises : le goût de la chanson, le goût de la table et du vin, et celui de la convivialité.
Parmi ses membres éminents, le compositeur Jean-Philippe Rameau, dont la rime n’est certes pas très subtile, et son canon à trois voix répétitif :
« Avec du vin, endormons-nous,
Endormons-nous,
Endormons-nous ! »
Y adhérait également Charles François Panard, connu pour ses vers inégaux en forme de carafe ou de verre de vin !
Remontons au Moyen-Âge, ou à sa reconstruction par Carl Off et ses fameux Carmina Burana (1935-1936). Cette cantate, fondée sur des poèmes médiévaux découverts en Bavière, traitent de sujets profanes et universels : la fortune, les plaisirs de l’alcool, la joie de voir renaître le printemps, l’amour, le jeu, la luxure, l’éphémérité de la vie…
Certes, ce n’est pas un opéra, mais cela en a la forme. La séquence « In Taberna » (Dans la taverne) est composée de 4 chants.
Enfin, n’oublions pas dans Béatrice et Bénédict de Berlioz (1862), la célébration du vin de Sicile entonnée par le maître de chapelle Somarone. La rime reste inoubliable et chantée par la basse : « Le vin de Syracuse accuse »
Là le masque est oublié !
Le vin comme refuge
A contrario de l’entrain et de la joie, un sentiment d’abandon et de délaissement peut nous saisir et le vin se fait alors refuge. Le vin dissipe-t-il la tristesse ? L’opéra, heureusement, y parvient !
Hamlet d’Ambroise Thomas (1868) « Ô vin dissipe la tristesse »
Au cours d’un festin, Hamlet lève son verre à l’oubli, avant de laisser à des comédiens le soin de rejouer le meurtre de son père, le roi Gonzague. Hamlet aurait-il découvert que le roi a été assassiné ?
Der Freischütz de Carl Maria von Weber (1821)
Kaspar doit apporter une âme au terrible Chasseur Noir Samiel. Pour cela, il tente de convaincre le jeune chasseur Max d’aller dans la forêt à minuit afin de forger une balle qui ne rate jamais sa cible. Max a peur, il hésite. Kaspar décide de le faire boire et entame une chanson sinistre.
« Dans cette vallée de larmes, il n’y aurait que soucis et peines si la vigne ne portait de raisins.
Aussi jusqu’à mon dernier souffle, je mets ma foi résolument dans le ventre du divin Bacchus.”
…
« Un fait un et trois font trois. Aussi en faut-il encore deux en sus du jus de la vigne.
Le jeu, aux cartes et aux dés, et la poitrine d’une belle enfant, voilà qui procure la vie éternelle.”
La Jolie Fille de Perth de Bizet (1867) « Quand la flamme de l’amour » – Air de Ralph
Ivre, Ralph a le vin triste. Il est désespéré de n’être point aimé…
Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach (1881) – « Amis, l’amour tendre et rêveur, erreur ! »
Hoffmann, désabusé par ses déboires amoureux avec Olympia et Antonia, raille l’amour et célèbre l’ivresse en jurant de ne pas succomber aux charmes de la courtisane Giulietta.
« Amis, l’amour tendre et rêveur,
Erreur!
L’amour dans le bruit et le vin,
Divin!
Que d’un brûlant désir votre cœur
s’enflamme
Aux fièvres du plaisir consumer
votre âme
Transports d’amour durez un jour. Ah!
Au diable celui qui pleure pour deux
beaux yeux!
A nous l’ivresse meilleure des chants
joyeux!
Vivons une heure dans les cieux! Ah! »
Nous laisserons le mot de la fin au personnage de Wagner repris par les basses, dans le Faust de Gounod (1859) « Vin ou bière »
« Jeune adepte du tonneau
N’en excepte que l’eau !
Que ta gloire, tes amours
Soient de boire toujours »
ET NUNC BIBENDUM
par Nicolas Thienpont